Analyse et rédaction : Jordan ARSENEAULT
Sur 52 pages, ce portrait présente 10 ans de taux de transmission soutenu par des graphiques et tableaux catégorisant les données selon tranches d’âge, orientations sexuelles, modes de transmission présumés et si la personne diagnostiquée au VIH est née au Canada ou non. Tout comme les publications précédentes de la Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP), le Portrait couvre aussi d’autres ITSS telles que la chlamydia, la lymphogranulomatose vénérienne (LGV), la gonorrhée, la syphilis, et les hépatites B et C.
Comprendre les nouveaux diagnostics VIH
Cette année, c’est la hausse – relative et réelle – du nombre de nouveaux cas de VIH sur le territoire montréalais qui a suscité le plus d’attention. Nos quelques réflexions sur les données 2022 révèlent une année où le rattrapage sur le dépistage n’explique pas entièrement la montée des nouveaux diagnostics, contrairement à ce que propose le Portrait. Pour les organismes travaillant auprès des PVVIH ou dans le milieu de la prévention, cette hausse évitable demande un réinvestissement substantiel, non seulement en intérêt porté à la lutte, mais aussi en ressources matérielles et financières.
Pour comprendre clairement la hausse des nouveaux diagnostics de VIH à Montréal, il faut partir de la moyenne du nombre de nouveaux cas des années post-PreP et non-pandémiques. Nous enlevons donc l’année 2013 de notre calcul de la moyenne, considérant que la Prep est apparue en juin 2013 sur notre marché et que ses effets bénéfiques ont ont pu être constatés à partir de 2014.Variable de l’autre extrême, la réduction flagrante du nombre de dépistages dans les années 2020 et 2021 représente un trop grand écart par rapport à la norme récente pour y être incluses quand on veut arriver à comprendre l’envergure réelle de la hausse.
Les nouveaux diagnostics chez les personnes nées au Canada
Chez les personnes nées au Canada:
- La moyenne de nouveaux diagnostics de VIH à Montréal (2014 à 2019 + 2022) = 135
- Nombre de nouveaux diagnostics de VIH à Montréal en 2022: 152
- Nombre de nouveaux cas excédant la moyenne ajustée: 17
- Pourcentage de la hausse de nouveaux cas par rapport à la moyenne ajustée: ~13%
Examinons en premier lieu les nouveaux diagnostics chez ces personnes nées au Canada, pour qui la hausse des diagnostics de VIH est de 13% en 2022 par rapport à la moyenne ajustée (voir graphique insérée). Cette augmentation est déplorable, mais elle est loin du pourcentage alarmiste cité dans les gros titres des médias dernièrement. Cette distinction est significative parce qu’une somme brute du total des cas nouveaux risque de biaiser le public par rapport à l’efficacité des mesures de prévention instaurées et développées au cours de lapériode couverte par ce rapport. Pensons entre autres à la découverte de I = I [U=U] (Indétectable = Intransmissible), l’une des avancées les plus efficaces pour lutter contre la transmission. Dans un contexte où les moyens de prévention sont de plus en plus connus et disponibles, où les cibles de l’ONUSIDA sont plus que jamais possibles à atteindre, la hausse demeure troublante: nous devrions constater de moins en moins de cas chaque année.
Nos institutions doivent des réponses à ces personnes nouvellement diagnostiquées quant aux facteurs systémiques : cette hausse de 17 personnes nouvellement diagnostiquées, aurait-elle pu être évitée si on avait approuvé des autotests de dépistage du VIH avant novembre 2020? Ou si on avait une réelle couverture pharmaceutique universelle pour les personnes vivant avec le VIH et la gratuité totale de la PreP pour les personnes assurées ou non?
Une tendance statistique des deux dernières années nous inquiète: le taux de diagnostics tardifs chez les hommes de la diversité sexuelle. L’indicatif d’un diagnostic tardif c’est d’avoir un taux de CD4 de moins de 350/ml lors de l’analyse sanguine d’une personne nouvellement diagnostiquée. Selon les données provinciales de 2021, 45,2% des hommes de la diversité sexuelle tombent dans cette catégorie; dans la région de Montréal pour l’année 2022, le constat est de 47%. Il s’agit des pires années pour le retard des diagnostics depuis dix ans, signe d’une diminution potentielle des dépistages réguliers chez la population la plus exposée à la transmission.
Nouveaux diagnostics chez les personnes nées ailleurs qu’au Canada.
Concernant les nouveaux diagnostics chez les personnes nées ailleurs qu’au Canada, la TOMS continue d’étudier à la fois la terminologie employée par la DRSP et les effets de cette hausse sur les capacités des organismes communautaires qui les desservent. Nous devrions aussi prendre en compte le fait que certaines d’entre elles arrivent séronégatives et contractent le VIH au courant de leur première année ici, sujet sur lequel Portrait n’est pas transparent.
Nous nous questionnons sur la possible désuétude de l’acronyme “OPE” (originaire de pays endémique) qu’emploie la DRSP pour qualifier les cas de personnes nées ailleurs qu’au Canada. Il nous semble être une généralisation, et ne pourrait pas s’appliquer à tous les pays dont les personnes migrantes sont issues.
Sans plus de détails sur les pays d’origine ou de qualificatifs sur les expériences des personnes, nous comprenons et constatons que:
- L’entrave officielle à l’immigration pour les PVVIH étant éliminée depuis longtemps, il n’y a pas eu de modification récente des conditions d’éligibilité quant au statut sérologique qui pourrait expliquer une augmentation si rapide de PVVIH nouvellement diagnostiquées.
- Le principal facteur d’exclusion qui perdure serait l’évaluation des coûts médicaux qui ne peuvent excéder le montant du «fardeau» déterminé par le fédéral. Tel que le souligne Laura Bisaillon dans son récent essai primé sur le sujet: «[…] les coûts personnels et financiers de la demande posée par une PVVIH, du dépistage obligatoire à la tarification de tous les traitements par la suite, peuvent s’avérer énormes.»1 Le fait qu’environ les ¾ des PVVIH nouvellement arrivées et nouvellement diagnostiquées sont nouvellement infectées implique que leur traitement sera plus facile et moins coûteux que pour une personne ayant un diagnostic tardif. 2
- L’année 2022 était une année record pour l’accueil de nouveaux arrivants au 21e siècle, tant au niveau national qu’à Montréal comme destination principale au Québec. Plus de nouveaux arrivants signifie naturellement plus de PVVIH.
Les PVVIH nouvellement arrivées font partie intégrante de nos communautés, tant pour la TOMS que pour nos organismes membres qui les accueillent. Chez ces 158 PVVIH diagnostiquées en 2022, 145 sont arrivées dans la même année, tandis que 8 d’entre elles sont arrivées en 2021.3 Pour Emily Bobe du Centre d’Action Sida Montréal (CASM), la hausse du nombre de PVVIH nouvellement arrivées a contribué à la nécessité d’embaucher trois nouvelles intervenantes, soit une croissance de 5 à 8 employées au courant de l’année 2022-2023. Le CASM constate d’ailleurs un réel afflux quant au nombre de nouvelles membres qui fréquentent ses services. Deux autres organismes qui desservent les PVVIH nouvellement arrivées, GAP-VIES et ACCM, font écho à ces propos. Le CASM, GAP-VIES, et ACCM ne sont que trois exemples parmi plusieurs de nos organismes membres qui ont vu l’augmentation des besoins et y ont répondu avec créativité et efficacité.
Des travailleur·euse·s de proximité qui soutiennent l’inclusion et le mieux-être des PVVIH nouvellement arrivées constatent que, malgré les avancées qu’il nous restent à faire et les défis énormes auxquels nous faisons face, Montréal aurait une réputation de lieu où la stigmatisation du VIH/sida est moindre, et où l’acceptation y est plus répandue gráce aux efforts de nos communautés. La simple disponibilité de médicaments, malgré une couverture pharmaceutique universelle inadéquate pour les traitements du VIH, pourrait être un élément encourageant pour les personnes qui ont connu de graves pénuries dans leur pays d’origine.
Il faut se rappeler que ces personnes arrivent au Canada avec un bagage expérientiel qui comprend des connaissances sur leur santé globale et des défis non-médicaux auxquels elles sont aptes à faire face. Pour les nouvellement diagnostiquées et récemment infectées parmi elles, dont moins de la moitié ont reçu un diagnostic tardif, leur arrivée à Montréal constitue une double adaptation au pays et au virus. C’est un privilège de pouvoir accompagner ces personnes dans nos organismes; nous avons la chance de pouvoir témoigner de leur prise en charge de leur santé et de leur engagement social auprès de membres de leurs communautés d’origine ainsi que de la communauté PVVIH qui est nouvellement la leur.
L’Hépatite C sous deux angles:
Quant à l’Hépatite C, nos collègues du CAPAHC recommandent de ne pas se fier aux chiffres de 2022 comme étant indicatifs; les taux d’infection pour 2023 et 2024 risquent d’avoir une tendance vers une hausse de nouveaux diagnostics.
Selon la DRSP: «Après un pic en 2018, le nombre de cas a connu une baisse marquée en 2019-2020 et est demeuré stable par la suite (il n’a pas manifesté de rebond post pandémie COVID-19)»
Avis du CAPAHC (Centre Associatif Polyvalent d’Aide Hépatite C):
«Les données épidémiologiques de 2022 démontrent une stabilité de la baisse des nouveaux cas d’hépatite C depuis 2020. Par contre, l’estimation 2023 (de janvier à octobre) semble indiquer une hausse significative des nouveaux cas, rappelant le pic de 2018. Restons donc vigilants.»
*Quant à l’épidémiologie, la TOMS préconise l’expérience et les savoirs des personnes travaillant à proximité dans la prévention de l’hépatite C et dans l’accompagnement de celles qui vivent avec ce virus traitable. Nous nous fions à leur expertise et recommandons de consulter le site du CAPAHC pour plus d’infos: www.capahc.com
Les infections bactériennes:
Quant aux ITSS bactérienne, la tendance générale semble s’orienter vers un retour aux taux d’infection pré-pandémiques.
La gonorrhée: tendance nouvelle quant aux lieux d’infection
Plus de résultats positifs dépistés dans les gorges (pharyngé) et anus (rectum) montréalais qu’auparavant. C’est une bondée dans la proportion des infections détectées à des sites extra génitaux: chez les hommes, 63% sont des infections extra génitales et 32% chez les femmes en 2022. Un bon rappel quant aux pratiques de prévention: tout comme les autres ITSS bactériennes les plus communes, la chlamydia et la syphilis, la gonococcie se transmet par contact avec les parties du corps autre que pénis et vagin.
La chlamydia: les hommes représentent plus de ⅔ de la hausse récente:
Avec un taux d’incidence en 2022 similaire à celui de 2019, les infections de chlamydia sont en croissance de 32% en 10 ans. On constate que 68% de cette montée est dépistée chez les personnes de sexe masculin.
Note pour la prévention: Considérant que la chlamydia est davantage asymptomatique chez les personnes de sexe masculin (assigné à la naissance), devrait-on faire des prélèvements buccaux et rectaux sur une base régulière en plus d’un simple test d’urine?
La LGV: Infection méconnue de moins en moins rare
Souche cousine de la chlamydia, la LGV (lymphogranulomatose vénérienne) est “maintenant bien présente dans la région de Montréal” et dépasse les 100 cas en 2022, dont la totalité chez les hommes de la diversité sexuelle.
La symptomatologie, les traitements, plus d’infos? Le PVSQ est sur le cas: https://pvsq.org/lgv/
La syphilis monte, toujours sans aucune parité des sexes:
Le nombre de dépistages positifs de la syphilis chez les hommes en 2022 s’approchent du nombre de cas en 2019 (622 vs. 624), suivant la tendance générale des Bactériennes. Néanmoins, le nombre total de cas (691) est supérieur à celui de 2019 à cause, notamment, d’une hausse de cas chez les femmes (passant de 29 à 44).
Lorsqu’il n’y a pas de plaie présente, le dépistage doit se faire par prélèvement sanguin et sera recommandé pour les personnes des communautés prioritaires dans la lutte au VIH. https://pvsq.org/syphilis/
Conclusion
En somme, l’augmentation de nouveaux cas exige une bonification des ressources, et non pas une réduction. Toute coupure (ou menace de coupure) de financement de la part de nos instances gouvernementales est ressentie dans la capacité de desservir nos communautés croissantes. Pour une inclusion à bras ouverts, il faudra aussi noter qu’au-delà de démanteler toute discrimination quant au statut sérologique, nos membres sont engagés à combattre avec et pour nos communautés, toute forme de discrimination, y compris le racisme, le capacitisme, le classisme, le sexisme, et la discrimination au niveau de l’identité de genre ou d’orientation sexuelle.
- Bisaillon, Laura. Screening Out: HIV Testing and the Canadian Immigration Experience. UBC Press. Vancouver: 2022 ↩︎
- Réseau juridique VIH/HIV Legal Network. Immigration et séjour au Canada pour les personnes vivant avec le VIH: Questions et réponses. Octobre, 2023 ↩︎
- « Pratiquement toutes étaient arrivées au Canada en 2022 (92 %) ou en 2021 (5 %) » Portrait p. 34 ↩︎